Le Dispositif ITEP, une institution inclusive

Au milieu des années 90, les insuffisances des propositions institutionnelles des Instituts de Rééducation, les dysfonctionnements et les aberrations d’un système qui ne permettait pas la prise en compte des difficultés psychologiques des enfants, amènent un grand nombre de professionnels regroupés au sein de l’AIRe à s’interroger sur la nature et la destination de ces établissements. Ces constats furent confortés quelques années plus tard en 1999, par le rapport IGAS SOUTOU GAGNEUX, dont les conclusions insistaient sur la violence dans les établissements, l’hétérogénéité des organisations et des fonctionnements, l’imprécision des méthodes et des orientations cliniques, la diversité des financements, la grande confusion des publics accueillis et l’insuffisance du terme « troubles du comportement », pour définir la diversité des publics d’enfants orientés vers ces structures.

Les constats des professionnels trouvent surtout un écho dans les recherches de Roger MISÈS, associé aux travaux de l’AIRe dès 1997. En particulier, lorsqu’il fait référence aux pathologies limites, avec dominance des troubles de la personnalité qui va servir de base conceptuelle et constituer pour l’AIRe une orientation clinique provoquant une véritable rupture de paradigme.

Il s’agit dès lors de prendre en compte des enfants dont les difficultés psychologiques perturbent gravement la socialisation et l’accès aux apprentissages. Ces enfants échappent le plus souvent aux propositions et cadres institutionnels classiques. Ils renoncent et s’opposent aux propositions et réponses éducatives, psycho-éducatives ou psychopédagogiques, ainsi qu’aux soins et thérapies. Pour reprendre l’expression souvent utilisée par Serge HEUZÉ, ce sont « des enfants qui refusent avec force tout ce dont ils ont le plus besoin ».

Le concept d’ITEP s’élabore autour de la nécessité de penser une réponse institutionnelle suffisamment souple et évolutive pour chaque enfant, de construire un projet personnalisé d’accompagnement pour chacun, en dehors des réponses préconstruites, des cadres administratifs formalisés, en ayant recours à des actions personnalisées, conjuguées, nécessairement interdisciplinaires, dans l’environnement de l’enfant.

Ces principes remettent en question les cadres habituels de l’intervention institutionnelle et de l’organisation traditionnelle des établissements en « silos ». Ils contraignent les Institutions à une organisation flexible, à introduire de l’interinstitutionnalité, à penser les complémentarités, à rompre avec la notion de place dédiée, à renoncer à la conception d’une « intervention spécialisée » conçue et pensée exclusivement dans les murs de l’établissement, isolée du reste du monde. Il fallait pour cela adapter les dispositions administratives, législatives, règlementaires, rénover le cadre de la tarification.

ITEP – Fonctionnement en dispositif et société inclusive

L’ITEP en est le résultat, avec un mode de fonctionnement, d’organisation, conforme aux orientations cliniques en faveur d’enfants dont les difficultés psychologiques perturbent gravement la socialisation et l’accès aux apprentissages. L’ITEP est ainsi conçu pour répondre à la singularité de ces enfants.

Le projet politique de l’AIRe est au service de la cause des enfants accompagnés.

Aujourd’hui, l’AIRe est confrontée à de nouveaux enjeux : concilier un projet basé sur la clinique et l’intérêt du public avec les principes d’une société inclusive, faire face à un empilement de réglementations parfois contradictoires, qui affectent la dimension institutionnelle des organisations, la cohérence des interventions, le sentiment d’appartenance et de cohésion des équipes et introduisent le risque d’une dilution des professions et des spécialités.

La mission centrale des DITEP est d’amener l’enfant l’adolescent ou le jeune adulte concerné à un travail d’élaboration psychique, en accompagnant son développement singulier au moyen d’une intervention interdisciplinaire, qui prend en compte la nature des troubles psychologiques et leur dynamique évolutive. Le DITEP favorise le maintien dans des dispositifs ordinaires ou adaptés. Il promeut les pratiques permettant de construire ou développer, avec les partenaires, des projets prenant en compte d’une part les ressources et les difficultés de l’enfant, d’autre part les possibilités et les limites de l’environnement.

L’accompagnement vers l’autonomie doit permettre à l’enfant, à l’adolescent ou jeune adulte d’expérimenter le quotidien et les relations humaines, pour évoluer au sein des dispositifs d’éducation, de scolarisation, de formation professionnelle et de socialisation.

En cela le DITEP porte en lui les germes, les prémisses, d’une société inclusive et rompt par définition avec la conception des institutions considérées comme privatives de droits, conçues comme des mondes à part.

L’autodétermination, principe fondateur de la société inclusive, nous amène à franchir avec le DITEP une étape supplémentaire. Il s’agit bien de recueillir la parole des enfants adolescents ou jeunes adultes, d’inscrire les parents ou les représentants légaux, auparavant considérés comme « acteurs périphériques », dans toute la chaîne décisionnelle. La participation sociale des usagers doit s’exprimer au plus près de l’élaboration des projets personnalisés, réunions de synthèse, concertations, mais aussi au niveau de la gouvernance des institutions conformément au slogan « Nothing for us without us ».

Dispositifs, plateformes, projets d’accompagnement et prestations

Si des thèmes agitent le monde professionnel et les institutions, ce sont bien ceux qui se réfèrent à la définition des termes et à leurs implications sémantiques, aux enjeux politiques et aux effets sur les organisations, parfois sur les financements eux-mêmes.

La proposition de plateforme, n’est pas sans intérêt et se révèle bien souvent opérationnelle et suffisante dans une majorité de situations de handicap. Elle contient l’intérêt de mettre en synergie des équipes, des professionnalités, des spécialités, de mettre en commun, de favoriser les coopérations, d’éviter la dispersion des énergies, la fatigue ou l’incompréhension des usagers. Elle répond probablement à une majorité de problématiques et reste conforme aux exigences d’une société inclusive, en proposant des réponses coordonnées à partir de prestations codifiées, organisées et de qualité.

Rappelons toutefois, que les DITEP ont été conçus pour répondre aux problématiques d’enfants qui peuvent refuser avec force tout ce dont ils ont le plus besoin du fait de leur souffrance psychique, qui échappent aux réponses pré établies, organisées par filières, basées sur l’adhésion, ou le choix. Dans cette situation, la proposition de plateforme, malgré ses avantages, contient le risque de réponses préformatées. Dans ce contexte, une ambiguïté persiste à penser les réponses en termes de prestations, de liberté de choix, ou de capacité de choix, là où justement le marqueur est dans le refus et l’opposition des enfants qui échappent aux propositions.

Pour une institution inclusive

Ainsi, au-delà des débats et de la sémantique, il semble que la question centrale introduite par la société inclusive reste celle de l’autodétermination de la personne. La question ne réside plus dans l’offre de prestations, dans des choix pré établis, mais dans la co-construction de la réponse avec les jeunes accompagnés, en l’occurrence et principalement pour les DITEP, les jeunes et leurs parents ou responsables légaux, considérés non plus comme des acteurs, mais bien plus comme des auteurs des accompagnements.

Pour l’Aire, il s’agira de contribuer à penser l’institution inclusive au plus proche de son environnement, au service de la participation sociale et de l’accès à la citoyenneté, basée sur le respect des droits humains; de poser les principes d’une institution soignante qu’on ne peut résumer à ses murs.